Entreprises Japonaises
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30 oct. 2008
Ce document essaie de dcrire le
fonctionnement, tel qu'il peut tre peru de l'extrieur, des entreprises
japonaises lors de leur priode de plus grande prosprit entre 1970 et 1990.
On discutera en conclusion le changement survenu lors des annes 1990.
La plupart de ces remarques sont extraites de mes souvenirs de
l'entreprise NEC, mais ils ont t confirms par mes visites hors de cette
compagnie, par mes lectures de livres sur la priode pr-1980 et des journaux
en langue anglaise depuis. J'ai utilis les termes anglo-saxons qui recouvrent
des entits proches des entreprises amricaines et sont difficilement
traduisibles en franais.
Au
sommet de la pyramide d'une entreprise japonaise, se trouve le Board of
Directors avec sa tte le Chairman of the Board. Le Chairman a un rle
voisin de celui qu'il a aux tats-Unis. Il a un rle de reprsentation
et d'orientation gnrale. Par contre les administrateurs (Directors)
sont presque tous des employs de l'entreprise, trs rarement des
administrateurs extrieurs et dans ce cas ce sont des dlgus
d'entreprises lies (par exemple les reprsentants de la banque
principale du groupe). Les administrateurs internes sont donc les
Directeurs des grandes divisions de la socit. Ils sont nomms suivant
trois critres l'importance de leur business, leur aptitude monter
dans la hirarchie et leur ge. La liste des "directors" est
ordonne suivant un savant dosage de ces critres qui permet aux initis
de prvoir les futures modifications du management et les rvolutions de
palais. La liste des directors est remise jour tous les ans, gnralement
fin avril -pendant la Golden Week- soit un mois aprs la clture de
l'anne fiscale -. Parmi les directors se trouve toujours le president
-le chef executive officer- qui est, sauf exceptions, le vritable patron
de l'entreprise et donc celui de la majorit des directors avec qui il
travaille quotidiennement. Le Board of Directors est plutt une chambre
de confirmation des dcisions dj prises et d'change d'opinions
qu'un comit excutif. Le chairman est parfois flanqu d'un ou plusieurs vice-chairmen. Ce poste est davantage une consolidation honorifique pour les presidents qui ont perdu leur place sans pouvoir prtendre dplacer le chairman. Le chairman et le prsident peuvent aussi vivre l'ombre d'une idole tutlaire, le chairman honorabilis, souvent le fondateur de l'entreprise ayant pris sa retraite ou une figure ayant marqu longtemps l'entreprise. Ce chairman honoraire est un retrait (parfois mme dans un monastre) qui est parfois membre du Keidanren (association patronale), qui sort de sa retraite pour dsapprouver ou au contraire approuver les changements d'orientation proposes par le prsident. Le financement des investissements a t assur
par des prts bancaires assurs par un taux d'pargne des mnages
rendu considrable par la quasi-absence de l'investissement immobilier
des particuliers. Comme beaucoup d'investissements ont t consacrs
aux produits haute valeur ajoute, le Japon a, malgr les dpenses
de l'tat en investissements d'infrastructure lourde; eu une balance des
paiements excdentaires qui a provoqu une rvaluation du yen
de 250% entre 1970 et 1985. Cette rvaluation a augment le cot
salarial des entreprises mais pas les prix intrieurs, peu influencs
par les importations jusque 1985, ont augment en consquence. Le
capital nominal des entreprises restait trs bas; c'est la rvaluation
-exagre- de leur capital foncier qui a t le dclencheur de la
crise des annes 1990). Mais la quasi-totalit du capital tait
verrouill par la banque mre du groupe. IL convient aussi de tordre le cot au mythe de
Japan, Inc organisation planificatrice sous la conduite du gouvernement.
Certes, la concertation informelle des entreprises du mme secteur a lieu
au sein du Keidanren et aussi organise par le MITI. Mais l'absence
quasi-totale de relation incestueuse entre entreprises concurrentes n'est
pas contrebalance par le quelques parachutages (amakuderi) qui
recyclent quelques fonctionnaires gouvernementaux dans les entreprises.
Les amakuderi ont beaucoup de mal se faire accepter dans
l'entreprise et survivent par leur carnet d'adresses dans les staffs des
directions gnrales. Par contre, le rle du gouvernement comme rgulateur
est important et son influence se traduit surtout par des contraintes
opposes aux entreprises (obligation de quitter un march pour cause de
ngociations internationales, normes rigoureuses d'environnement parfois
dictes pour des raisons macro-conomiques protectionnistes). Une caractristique importante de grands groupes
japonais est l'existence de nombreuses filiales - 100%- (chaque usine
peut constituer une filiale). Elles diffrent de la maison-mre par les
conditions de rmunration et des avantages sociaux qui diffrent. La
direction des filiales est parfois confie des cadres promis un
brillant avenir dans la socit mre, mais le plus souvent des
managers ayant dpass 50 ans et l'avenir bouch. La direction d'une
filiale est alors leur bton de marchal. Les ressources humaines sont le plus souvent gre
hors hirarchie dans la mesure o la part donne au mrite dans les rmunrations
est ngligeable, mme dans les primes semestrielles. D'autre part, me
faisait remarquer un manager de NEC, "dans la Marine Impriale
pendant la guerre le commandant du navire avait autre chose faire que
de s'occuper de la promotion de ses subordonns, c'tait de les ramener
vivants au port aprs avoir accompli sa mission". Bien entendu, un
chef confie un dbriefing de la mission la direction du personnel qui
recommande les mutations et les promotions.
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Avant
de redescendre dans la hirarchie de l'entreprise, il convient de
mentionner un processus de dcision propre aux entreprises orientales,
c'est la ngociation pour obtenir un consensus sur les dcisions le nemawashi.
L'origine de la proposition peut venir aussi bien du haut que du bas de la
hirarchie. Elle est le plus souvent mise informellement en dehors des
heures de service autour d'une bire ou d'un sake. Elle ne sort en
public qu'aprs avoir t approuve au moins dans ses grandes lignes
par l'ensemble des gens concerns. Le processus "prend
longtemps" au dire d'un cadre suprieur japonais, "au moins
deux mois". Cela vite d'attendre la rdaction d'un ordre de
changement pour en voir les inconvnients et il diffre du lobbying de
nos entreprises occidentales par le fait que le consensus doit galement
tre obtenu avec les excutants ou les services. Une autre caractristique ancre dans la culture
d'entreprise japonaise est la diffrence entre le hon-ne et le tate-mae.
L'accusation de duplicit faite souvent par des ngociateurs occidentaux
provient de l'incomprhension de cet aspect. Le hon-ne reprsente
le sentiment profond de l'interlocuteur, le tate-mae reprsente sa
position formelle telle qu'il est capable de l'crire et de signer. Le nemawashi
est un processus qui vise faire concider hon-ne et tate-mae.
Le hon-ne n'est jamais expos dans les runions formelles, il
doit tre devin ou bien il est ncessaire d'attendre les repas,
parfois bien arross, pour le voir expliciter. Une hirarchie multi-niveaux est l'organe
fondamental de l'entreprise japonaise. Sa lourdeur est tempre par deux
mcanismes absents en gnral des entreprises occidentales. Presque
tous les postes de managers sont doubls par des adjoints (assistant
managers) capables de prendre les dcisions courantes en cas d'absence
des chefs. Leur job constitue une position de reconnaissance hirarchique
comme offrants des situations d'apprentissage. D'autre part, le nombre de
niveaux et l'existence des postes d'adjoints permettent une remise en
cause annuelle des positions (au mois de juin) ce qui limite un mois la
priode d'expectative et ne permet pas des services entiers de pricliter
cause de l'incomptence de leur chef. Le cycle de vie d'un ingnieur est intressant
observer. Les tudiants taient (et sont encore, mais un peu moins)
recruts avant la fin de leurs tudes l'universit. Cet engagement
est priori un engagement vie. Lorsqu'il rentre dans l'entreprise, il
passe e 6 mois 2 ans dans une priode d'observation o l'adquation
de la filire propose est juge la fois par l'intress et
l'entreprise. On considre comme normal que le contrat d'embauche dans
une filire soit remis en cause par l'imptrant. D'autres filires
lui seront proposes en cas de non-adaptation. Une autre originalit observe dans les
compagnies japonaises est l'organisation matricielle des services
commerciaux. Le rseau de ventes possde une organisation horizontale gographique
avec des expatris dans les pays trangers et une organisation par ligne
de produits le plus souvent localise au Japon. L'organisation
horizontale organise la logistique de distribution et les cots y affrant,
mais est surtout mesure sur le taux de pntration par rapport la
concurrence et les autres rseaux de distribution. C'est l'organisation
verticale proche de l'engineering et de la fabrication qui a la
responsabilit des profits (et ventuellement des pertes). Cette organisation des entreprises japonaises a t
mise en cause la fin des annes 1980 par la contamination du monde du
business amricain. Les socits japonaises se sont implantes aux tats-Unis,
y ont embauch des ingnieurs et des cadres locaux. Des socits
marginales la culture nippone se sont cres (socits Internet,
entreprises de services de location de personnel). Devant cette
mondialisation des cultures conomiques, et avec la retraite de la gnration
de managers qui avaient connu la guerre et les dures annes 1945-1970,
les entreprises japonaises ont adopt un peu en dsordre les structures et les doctrines
du monde occidental. Jean Bellec 2004 |